J'ai hésité à écrire cet article, car beaucoup de jardiniers ont produit des vidéos sur l'eau au potager dans le courant de l'été, et mon expérience à ce sujet est sensiblement différente de ce qu'on entend communément. En effet, je fais partie de ces quelques jardiniers qui "n'arrosent pas". J'insiste sur les guillemets, car c'est quelque chose qui est souvent mal compris, et qui génère des réactions excessives dans les commentaires. Je ne nie évidemment pas les besoins en eau des plantes, d'ailleurs "sans arrosage" ne veut pas dire "sans eau", car sans eau, pas de vie, pas de plantes, et par extension, pas de récoltes. Et puisqu'il faut rendre à César ce qui appartient à César, c'est did67 le jardinier, dans sa récente vidéo Le Potager du Paresseux : encore une canicule - mais où va-t-on ?, qui m'a donné les clefs qui m'ont permis de comprendre pourquoi mon potager arrive à fonctionner sans irrigation, à évaluer les besoins en eau réels de mon potager, pour pouvoir maintenant vous l'expliquer dans cet article.
1. La pluviométrie
La pluviométrie mesure l'ensemble des précipitations sous forme de pluie, de grêle ou de neige, observées sur une aire géographique et pendant une période donnée. La pluviométrie est un facteur écologique essentiel : avec la température, elle conditionne les climats terrestres, la nature et le fonctionnement des écosystèmes, leur productivité primaire, etc... Les résultats recueillis sont exprimés en millimètres : un millimètre de pluie correspond à un litre d'eau par mètre carré.
Pour connaître la pluviométrie moyenne chez moi, je vais utiliser les données collectées à la station météo la plus proche, qui se situe à une quinzaine de km de mon domicile. Pour trouver ces données, je me suis rendue sur le site proposé par
did67 le jardinier dans sa vidéo :
https://www.infoclimat.fr.
Dans l'onglet Climatologie de ce site, on trouve une rubrique intitulée Normales et records 1981-2010. C'est celle qui nous intéresse.
Il suffit alors de rentrer le nom de votre commune dans le champ de recherche pour voir apparaître une liste des stations météo les plus proches. Sélectionnez la plus proche de chez vous, ou, dans mon cas, la plus proche à avoir collecté les données sur plusieurs années, car certaines petites stations météo n'ont que des données récentes, ce qui est évidemment moins représentatif en terme de moyenne.
On arrive alors sur la page des valeurs climatologiques pour la station choisie. La partie qui nous intéresse ici concerne la pluviométrie. Voici les valeurs relevées chez moi :
On peut déjà constater plusieurs choses intéressantes : les mois où la pluviométrie est la plus élevée ne sont pas forcément ceux auxquels on pourrait s'attendre. Ici, par exemple on constate que le mois qui arrive en tête est le mois d'octobre, mais en seconde position, on trouve le mois d'août, avec une pluviométrie pratiquement équivalente au mois de novembre ! Surprenant, n'est-ce pas ? Pourtant, ça ne m'étonne qu'à moitié. Comme vous le savez, je suis en moyenne montagne, et les montagnards le savent bien, en altitude, l'été, les orages sont relativement fréquents, et s'accompagnent généralement d'épisodes pluvieux brefs, mais intenses. Plus étonnant, les mois les moins pluvieux de l'année sont, chez moi, janvier et février ! Le cumul annuel des précipitations atteint une honnête moyenne de 993,8 mm.
Ces données nous permettent de connaître les quantités moyennes d'eau qui entrent dans le sol, tout en gardant à l'esprit que ça reste une moyenne, et que selon les années, les valeurs réelles observées peuvent plus ou moins s'éloigner de ces valeurs moyennes. Néanmoins, ça reste des données fiables et représentatives, le but n'est pas d'avoir quelque chose de précis au millimètre près, mais d'évaluer les besoins en eau du potager en fonction du climat local. C'est pourquoi, après avoir estimé les quantités d'eau qui entrent dans le sol, on va maintenant s'intéresser aux quantités qui en sortent.
2. L'évapotranspiration
L'
évapotranspiration est une notion que j'ai brièvement abordé dans
mon livre, je vais donc directement vous citer le chapitre en question :
Le sol fournit à la plante l'eau nécessaire à son développement. Puisée dans le sol, l'eau pénètre par les racines et transite par les vaisseaux de la plante jusqu'aux feuilles. Les plantes sont majoritairement constituées d'eau. Une partie de cette eau est évaporée par les feuilles, au moyens de multiples orifices appelés stomates. C'est la transpiration. Simultanément, sous l'effet du rayonnement solaire, de la température ambiante et du vent, le sol laisse aussi échapper de l'eau vers l'atmosphère sous forme de vapeur d'eau, c'est le phénomène d'évaporation. L'addition de ces deux phénomènes, qui épuisent progressivement la réserve d'eau du sol, est appelé évapotranspiration.
Justement, ça tombe bien, puisque sur le site
https://www.infoclimat.fr, nous avons aussi des données sur l'évapotranspiration potentielle, à la ligne
ETP moyenne. Malheureusement, cette donnée n'est pas disponible pour la station la plus proche de chez moi... Par défaut, je me suis donc rabattue sur la plus proche que j'ai trouvé...
Voyons maintenant ce qu'on obtient si l'on soustrait l'eau perdue par évapotranspiration à l'eau qui entre dans le sol grâce aux précipitations :
On se rend compte que certains mois de l'année, il y a un déficit en eau (avril, mai, juin, juillet et août), et que pour les autres mois de l'année, il y a un surplus d'eau, ce qui nous donne, au final, un excédent d'eau annuel de 205,2 mm. Cet excédent d'eau, où va-t-il ? Il ne disparaît pas, évidemment, il va tout simplement se stocker dans le sol. La capacité d'un sol à retenir l'eau va dépendre essentiellement de sa nature, comme on va le voir par la suite.
A noter que le paillage joue un rôle important sur l'évapotranspiration, puisqu'il limite considérablement l'évaporation au niveau du sol. C'est important de le souligner, car avec un sol paillé, on peut réduire les données sur l'évapotranspiration de moitié (si on supprime le phénomène d'évaporation au niveau du sol, il ne reste plus que la transpiration des plantes). Si on fait le calcul, on comprend aisément que dans ma région, avec ces données moyennes et un épais paillage, je n'ai déjà pratiquement plus de déficit en eau, même en plein été !
Dans la mesure où, d'après le tableau ci-dessus, l'évapotranspiration est supérieure à la pluviométrie dès le mois d'avril, ça me conforte dans mon idée de ne pas retirer le paillage au printemps (pour permettre au sol de se réchauffer), afin de ne pas entamer inutilement la réserve en eau de mon sol.
Dans certaines régions où la pluviométrie est moins importante, et où l'évapotranspiration est plus élevée en raison d'un climat plus chaud, d'un ensoleillement plus important et/ou avec davantage de vent, il peut arriver que les pluies hivernales ne suffisent pas à remplir la réserve utile en eau du sol. Ce n'est pas le cas chez moi, mais dans les régions concernées, il faut effectivement commencer à s'interroger de façon plus poussée sur l'irrigation des cultures potagères et leurs besoins réels.
3. La réserve utile en eau du sol
La réserve utile en eau d'un sol (RU) est la quantité d’eau que le sol peut absorber et restituer aux végétaux. Toutefois, l'eau naturellement contenue dans le sol, la réserve utile, n'est pas totalement utilisable par les plantes. On parle de RFU (Réserve Facilement Utilisable ou confort hydrique) et de RDU (Réserve Difficilement Utilisable ou réserve de survie qui engendre un stress hydrique des végétaux). Elle varie en fonction du type de sol.
Lorsque le sol est saturé, tous les pores du sol sont remplis d'eau.
Une première partie de l'eau de pluie est lessivée rapidement, et est entraînée en profondeur par gravité, on parle d'eau gravitaire, c'est elle qui remplit les nappes phréatiques. Plus le sol est sableux, plus la quantité d'eau gravitaire est importante. On obtient alors un sol ressuyé, c'est-à-dire un sol contenant le volume maximal d'eau qu'il est capable de retenir compte tenu de ses caractéristiques de porosité, de perméabilité et de granulométrie.
Puis les plantes
(transpiration) et le soleil/le vent, donc le climat (évaporation)
vont pomper cette eau.
Les plantes commencent
par utiliser la RFU puis, si la réserve utile ne se re-remplit pas,
elles utiliseront, avec plus de difficultés, la RDU (elles ferment alors leurs
stomates et diminuent leur activité de transpiration pour assurer
leur survie, ce qui contrarie la photosynthèse et donc la
croissance, et à terme, la productivité), c'est le stress
hydrique. Arrive un moment où la force de rétention d'eau du
sol dépasse la capacité maximale d'absorption des racines (15
bars), c'est le point de flétrissement permanent : la
plante meurt. Plus la texture du sol est fine (argile < limon <
sable) plus le point de flétrissement est élevé.
À titre indicatif, la
valeur moyenne de la RU est de :
- 0.9 à 1.2 mm/cm de sol
sableux
- 1.3 à 1.6 mm/cm de sol
pour un limon argileux
- 1.8 à 2 mm/cm de sol
pour un sol argileux, argilo limoneux, argilo sableux.
Mais ce qui nous
intéresse, nous, c'est la RFU, la Réserve Facilement Utilisable,
parce qu'on veut éviter que nos plantes se retrouvent en situation
de stress hydrique, soit l'équivalent d'un "mode survie",
qui nuit, comme on l'a dit précédemment, à leur croissance et à
leur productivité.
J'ai trouvé ces donnés
en fouillant du côté de l'INRA (je me suis souvenue après coup que
Didier en a aussi parlé dans sa vidéo). On considère généralement
que la RFU est d'environ 0,5 mm/cm en sol sableux, et d'environ 1
mm/cm en sol limoneux ou argileux (soit le double !). Dans un sol
parfaitement équilibré et optimal, qui présente la plupart des
qualités des trois types précédents sans en avoir les défauts (15
à 25 % d'argile, 30 à 35 % de limon, 40 à 50 % de sable), la RFU
peut monter jusqu'à 1,2 mm/cm. Notons également que la capacité de
rétention d'eau du sol peut varier en fonction de différents
facteurs, comme la présence de cailloux (un sol très caillouteux
retiendra moins d'eau) ou la quantité de matière organique (un sol
riche en matière organique retiendra davantage d'eau). Les
mycorhizes jouent également un rôle dans l'apport d'eau aux
plantes. J'ai un sol argileux, plutôt caillouteux, mais riche en
matière organique et en champignons. J'estime donc
approximativement la RFU en eau de mon sol à 1 mm/cm. Il faudrait
faire une granulométrie, voir une analyse complète de sol, pour avoir des données plus précises, mais
pour l'exemple, on va partir là-dessus.
Intéressons-nous
maintenant à la profondeur de sol utilisable par nos plantes
potagères. En effet, on l'a vu, les données ci-dessus s'entendent
en mm par tranche de 1 cm de sol. En fouillant sur Internet, j'ai
trouvé ces données :
- Plantes à enracinement superficiel (30 à 45 cm) : ail, basilic, brocoli, céleri, chou chinois, chou de Bruxelles, chou-fleur, chou rave, ciboulette, épinard, fenouil, fraisier, laitue, mâche, maïs, oignon, persil, poireau, pomme de terre, topinambour
- Plantes à enracinement moyen (45 à 60 cm) : aubergine, blette, betterave, carotte, chou kale, concombre, courgette, fève, haricot, melon, navet, piment, pois, poivron, romarin
- Pantes à enracinement profond (60 à 90 cm et +) : artichaut, asperge, consoude, courge, panais, pastèque, patate douce, rhubarbe, tomate
Je vous propose donc de partir sur une moyenne de 50 cm, afin que la majorité des plantes cultivées puisse être concernée par les données qu'on va obtenir, tout en gardant à l'esprit que les plantes à enracinement moyen à profond auront une autonomie en eau plus importante avant d'atteindre le stade de stress hydrique. 1 mm/cm de réserve utilisable sur 50 cm de profondeur de sol, ça nous donne 50 mm soit 50 litres d'eau par m² sur 50 cm de profondeur de sol.
En conclusion, ces données me permettent d'estimer que dans ma région, avec mon climat, et avec un paillage suffisamment épais pour limiter au maximum l'évaporation au niveau du sol, les précipitations suffisent à combler les besoins en eau de mon potager. Si toutefois l'évapotranspiration et les besoins en eau devaient être accentués par des phénomènes climatiques extrêmes (canicule, sécheresse, etc...), mon sol (argileux, riche en matière organique et en mycorhizes) bénéficie d'une réserve facilement utilisable par les plantes estimée (fourchette basse) à 50 litres d'eau par m² sur 50 cm de profondeur de sol. Voilà pourquoi je peux me permettre de conduire mon potager sans irrigation, chose qui serait probablement impossible sous certains climats et/ou avec un sol différent. C'est la raison pour laquelle j'insiste toujours sur le contexte d'un potager, car il n'existe aucune recette ou méthode qui fonctionne partout et pour tout le monde...
Ces données sont facilement accessibles et vous permettront d'estimer de façon rationnelle les besoins en eau de vos cultures potagères en fonction de votre contexte. Le réchauffement climatique est sur toutes les lèvres, sécheresses et canicules se multiplient, mais se jeter sur l'eau potable du réseau pour arroser des cultures potagères qui n'en ont peut-être pas besoin n'est pas raisonnable. L'estimation des besoins en eau réels de votre potager vous permettra de prévoir des solutions de récupération et de stockage de l'eau de pluie adaptées à votre contexte, sans gaspillage de cette précieuse ressource qu'est l'eau potable...